À propos
« Brigitte Le Guern pose sur notre monde sa lanterne magique. A travers l’alliance indissociable de la peinture et de la photographie, l’artiste plasticienne saisit le visage des choses, leur matière. Elle modifie le réel en accentuant les particularités de certains détails du corps humain. L’accentuation de ces détails permet à l’artiste de nous livrer sa vision de l’humain, qui semble vidé de tout contenu expressif, comme si le frémissement de la vie en était absent.
Dans la série Visage, Brigitte Le Guern présente des visages réduits à une bouche, un nez, un cri. Bouche ambiguë̈ qui peut inviter au plaisir mais peut aussi bien se fermer, révéler la part animale, ou se crisper. Il semble qu’à travers cette multiplicité́ de visages, l’artiste cherche à atteindre le visage de ce qui n’a pas de visage, pour reprendre la belle formule de Bram van Velde.
La série Corps fait également apparaitre cette ambiguïté. Par leurs positions, ces corps s’affirment comme une invitation au plaisir mais la focalisation sur certains détails (taches, grains de peau, poils) fait transparaitre une chair abîmée sous l’enveloppe. Celle qui porte les stigmates de la vie. Une chair exhibée dans sa vérité de sang, de peau, de muscles, parfois sous une lumière crue. C’est l’âge de la peau, ses mutations sans complaisance que nous contemplons. On pense à Cocteau qui disait : Chaque jour dans la glace, je vois la mort au travail.
Il y a chez Brigitte Le Guern un amour pour cette chair que nous sommes, en même temps qu’une fascination pour l’envers du décor. Il règne dans ses œuvres un silence et une solitude. Les grands peintres, disait Diderot, ne peignent pas les choses telles qu’elles sont mais telles qu’ils les sentent. Et nous sentons bien, à force de contempler ces fragments de corps et de visages, qu’un parcours initiatique nous est proposé. Parcours qui débute, avec les séries Nombrils 1 et Nombrils 2, par la cicatrice du cordon ombilical, plaie originelle, lien à soi et à la mère ; cicatrice aimée et exhibée mais qui nous signifie que nous sommes jetés au monde pour y mourir, pour reprendre Heidegger.
Enfin, dans la série L’homme au compteur, le modèle est emmuré dans l’effroi. Brigitte Le Guern utilise la photo comme une séquence narrative, comme si elle maniait la caméra. Instants pris sur le vif et qui capturent l’émotion. Une émotion qui fige, pétrifie. Solitude, isolement dans un milieu urbain mécanisé. Qu’a donc vu l’homme au compteur ? On ne peut s’empêcher de penser à la Gorgone, dont le regard métamorphose en pierre celui qui le croise, et qui met au premier plan le regard mortifère, car le visage suppose une réciprocité visuelle ; mais qui croise la figure de la gorgone reste figé. Ce visage est donc face interdite, non visage.
Mais la peinture, par la distance qu’elle instaure entre le sujet et son double, déjoue la mort. Le visage retrouve son éloquence, et notre émotion est vive à contempler nos vies aussi dérisoires que grandioses. »
Elisabeth Blanchard